Le jour où la France a décidé de jouer dans la cour des grands
En 2001, quand Noël Labourdette, Bruno Delport et Sam Bernett annoncent qu’ils vont créer une manufacture de cigares en France, la nouvelle fait sourire dans les fumoirs parisiens. Un cigare français ? Autant essayer de faire du champagne en Australie ou du whisky au Japon. L’idée paraît tellement saugrenue que même les journalistes spécialisés n’y croient pas.
Mais ces trois entrepreneurs ne sont pas du genre à se laisser décourager par les ricanements. Ils ont grandi dans l’univers du tabac et rêvent de créer LE cigare français. Quand on leur dit que c’est impossible, ils répondent avec ce flegme typiquement français : “On va voir.”
Et effectivement, on va voir. Parce que cette histoire, c’est celle d’une revanche française sur le scepticisme international, d’un pied de nez aux préjugés, et surtout, d’une leçon magistrale donnée à tous ceux qui confondent tradition et immobilisme.
La naissance de Navarre (2001-2002) : mission impossible version française
Le choix de l’implantation : quand la géographie devient stratégie
Pour implanter leur manufacture, les fondateurs explorent toutes les options. Il faut un climat adapté, une main-d’œuvre formable, des infrastructures correctes. Après des mois de recherches, ils jettent leur dévolu sur Navarrenx, une petite ville du Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Le choix peut surprendre, mais il est malin. Le climat béarnais, avec ses étés tempérés et ses automnes humides sous l’influence océanique, offre des conditions intéressantes pour le travail du tabac. En plus, la région a une tradition artisanale forte : on y sait travailler de ses mains depuis des siècles.
Surtout, ils misent sur la mentalité locale. Les Béarnais sont réputés têtus, méticuleux, perfectionnistes. Exactement les qualités qu’il faut pour rouler des cigares d’exception. Et puis, implanter sa manufacture à Navarrenx, ça ne s’invente pas : le nom même de la ville évoque l’histoire de la Navarre historique !
L’installation de la manufacture : quand l’artisanat rencontre l’industrie
En 2001-2002, la manufacture Navarre ouvre ses portes dans d’anciens bâtiments industriels rénovés à Navarrenx. L’endroit est modeste, mais les fondateurs ont vu grand. Ils font installer des équipements dernier cri pour contrôler l’hygrométrie, importent des machines spécialisées, créent des espaces de stockage climatisés.
La proximité des Pyrénées offre des conditions climatiques particulières : l’humidité océanique tempérée par l’altitude, des variations thermiques douces, bref, un microclimat qui se révélera parfait pour le traitement du tabac.
Mais le plus dur reste à faire : former les torcedores. Parce que rouler un cigare, ce n’est pas comme faire une cigarette. C’est un art qui demande des années d’apprentissage.
La formation des équipes : quand l’impossible devient possible
Les fondateurs font venir des maîtres expérimentés pour former leurs équipes françaises. Imaginez un peu : des torcedores expérimentés débarquant à Navarrenx pour apprendre leur art à des Béarnaises qui n’ont jamais touché une feuille de tabac !
Les débuts sont chaotiques. La transmission des techniques de roulage demande patience et persévérance. Heureusement, la légendaire hospitalité béarnaise et la détermination des formateurs finissent par faire des miracles.
Petit à petit, la magie opère. Les gestes se transmettent, les techniques s’affinent, l’excellence naît. Au bout d’un an, les premières torcedoras françaises sortent des cigares dignes de ce nom. Ce n’est pas encore parfait, mais c’est déjà prometteur.
Les premières années (2002-2009) : entre galères et premières victoires
Les débuts difficiles : quand la réalité rattrape les rêves
Les premiers cigares Navarre sortent en 2002. Les fondateurs sont fiers comme des parents le jour de la naissance de leur premier enfant. Leurs cigares sont beaux, sentent bon, tirent bien. Ils sont convaincus que le succès est au coin de la rue.
Sauf que les amateurs français restent sceptiques. Un cigare français ? Et puis quoi encore, des sushis béarnais ? Les ventes peinent à décoller, les critiques sont mitigées, les distributeurs rechignent à référencer ces cigares “folkloriques”.
L’équipe encaisse les coups sans broncher. Elle a la ténacité béarnaise chevillée au corps, cette obstination qui a fait dire à Henri IV que “Paris vaut bien une messe”. Elle sait que créer une marque, ça prend du temps. Elle continue d’investir, d’améliorer, de perfectionner ses assemblages.
La quête de la qualité : quand l’obsession devient méthode
L’équipe Navarre développe un perfectionnisme maniaque. Chaque cigare qui sort de la manufacture de Navarrenx est inspecté, testé, approuvé selon des critères draconiens. Elle refuse catégoriquement de laisser passer un cigare défaillant.
Cette exigence coûte cher. Il faut détruire des milliers de cigares qui ne correspondent pas aux standards, former en permanence les équipes, investir dans du matériel toujours plus performant. Les comptables trouvent l’approche folle, les banquiers s’inquiètent, mais l’équipe tient bon.
Elle a compris une chose essentielle : dans l’univers du cigare premium, il n’y a pas de droit à l’erreur. Un seul cigare raté peut détruire une réputation construite en années.
Les années de transition (2010-2016) : changements de propriétaires et consolidation
Le passage sous nouvelle direction
En 2010, la manufacture passe sous le contrôle de la société “3F”, dirigée par Thierry Frontère. Cette période marque une phase de consolidation et de professionnalisation accrue. L’entreprise affine ses processus, développe sa distribution et renforce sa réputation sur le marché français.
Les cigares Navarre commencent enfin à être reconnus. Des critiques influents écrivent des papiers élogieux sur les créations béarnaises. Les ventes décollent timidement. Plus important encore : les amateurs étrangers s’intéressent aux cigares français. Des distributeurs allemands, belges, suisses contactent Navarre.
La reconnaissance progressive
Le cigare de Navarrenx commence à exister sur la scène nationale puis internationale. L’entreprise obtient même le prestigieux label “Entreprise du Patrimoine Vivant”, reconnaissance officielle de son savoir-faire artisanal d’exception.
Cette période voit aussi se développer les gammes qui feront la réputation de la marque, avec des assemblages toujours plus sophistiqués et des formats diversifiés pour toucher différents segments d’amateurs.
L’évolution vers Hedon (2016) : quand une marque trouve son identité
Le changement de propriétaire et de nom
En juin 2016, Renato Angiolillo reprend l’entreprise et prend une décision qui surprend tout le monde : il rebaptise les cigares premium “Hedon”. Pourquoi ce changement ? Parce que le nom “Navarre” évoque trop la France rurale, pas assez le luxe international.
“Hedon”, c’est plus mystérieux, plus sophistiqué. Ça évoque l’hédonisme, le plaisir, la recherche du raffinement. Exactement l’image que Renato Angiolillo veut donner à ses cigares haut de gamme. Et puis, ça garde un lien subtil avec l’origine béarnaise sans l’afficher trop ouvertement.
Le changement ne se fait pas sans grincements de dents. Les premiers clients sont désorientés, la communication doit être repensée, les packagings redessinés. Mais Renato Angiolillo tient bon : Hedon sera la marque du cigare français de luxe.
La nouvelle stratégie marketing : quand le produit devient art de vivre
Avec Hedon, Renato Angiolillo ne vend plus juste des cigares : il vend un art de vivre à la française. Finies les références appuyées aux Caraïbes, place à l’élégance hexagonale avec une pointe d’exotisme béarnais.
Les nouveaux packagings sont somptueux : bois précieux, dorures discrètes, typographies raffinées. Chaque boîte de cigares Hedon devient un objet de collection qui évoque autant le raffinement parisien que l’authenticité pyrénéenne.
La communication aussi évolue. Exit les comparaisons avec Cuba, place à l’affirmation d’une identité française assumée. Hedon revendique son origine, son terroir béarnais, sa différence.
Le développement des nouvelles gammes
Forte de sa nouvelle identité, la marque Hedon lance ses gammes qui marquent les esprits. Chaque module a sa personnalité, ses spécificités, son public cible.
La gamme Hedon se décline en six modules aux noms évocateurs :
- Brillant (panatela) : 113 x 11,26 mm – L’entrée de gamme élégante qui initie aux cigares français avec finesse
- Éclatant (short robusto) : 105 x 19,8 mm – Le format court qui révèle toute l’intensité des assemblages béarnais
- Rêveur (robusto) : 124 x 19,84 mm – Le format classique qui sublime l’art de vivre à la française
- Flâneur (corona gorda) : 143 x 18,26 mm – Le module sophistiqué pour les moments de contemplation
- Savant (grand robusto) : 150 x 20,64 mm – Le format généreux qui révèle toute la complexité des assemblages
- Légendaire (double corona) : 230 x 19,84 mm – Le module d’exception pour les grandes occasions
Cette gamme permet à Hedon de toucher tous les segments du marché premium, du fumeur occasionnel (Brillant) au collectionneur exigeant (Légendaire).
L’âge d’or d’Hedon (2017-2025) : quand la France s’impose
La reconnaissance internationale : quand l’exception devient référence
Depuis 2017, les cigares Hedon sont reconnus dans le monde entier. Ils obtiennent des récompenses dans les concours internationaux, sont référencés dans les meilleures caves, adoptés par les amateurs les plus exigeants.
Cette reconnaissance internationale fait chaud au cœur de l’équipe béarnaise. Elle qui a essuyé tant de sarcasmes voit enfin ses cigares respectés au même niveau que les Cubains ou les Dominicains.
Plus fort encore : certains critiques osent affirmer que les Hedon surpassent parfois leurs concurrents caribéens. Le cigare français n’est plus une curiosité, c’est une référence. Le petit atelier de Navarrenx fait jeu égal avec les géants mondiaux.
L’innovation constante : quand l’art rencontre la science
Hedon ne se repose pas sur ses lauriers. La marque innove constamment : nouveaux assemblages, techniques révolutionnaires, formats inédits…
Renato Angiolillo investit massivement dans la recherche et développement. Il teste de nouvelles provenances de tabac, expérimente des méthodes de fermentation originales inspirées parfois des techniques viticoles bordelaises voisines, crée des assemblages audacieux.
Cette quête perpétuelle de l’innovation maintient Hedon à la pointe de l’industrie du cigare premium.
L’expansion européenne : quand le succès appelle le succès
Fort de sa réputation, Hedon lance une offensive européenne. La marque s’implante en Allemagne, en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas…
Partout, les cigares français sont accueillis avec curiosité puis admiration. Hedon prouve que l’excellence n’a pas de nationalité, que même depuis le petit Béarn, on peut créer des cigares d’exception.
Cette expansion européenne transforme Hedon en marque internationale, tout en gardant son âme française et ses racines pyrénéennes.
L’art du pairing selon Hedon : quand le Béarn rencontre l’excellence
La philosophie Hedon en matière d’accords
Hedon développe sa propre vision du pairing, typiquement française avec une touche béarnaise. Contrairement aux marques caribéennes qui privilégient les accords “virils” (rhum, whisky), Hedon mise sur la sophistication et la subtilité des terroirs.
La philosophie Hedon : un grand cigare mérite des accords d’exception, mais pas forcément les plus évidents. L’art consiste à créer des harmonies surprenantes, des contrastes réussis, en puisant dans le patrimoine gastronomique français et béarnais.
Les accords spiritueux : l’art de la nuance française
Côté Armagnac (spiritueux du terroir voisin), les cigares Hedon révèlent leur complexité avec un Château de Laubade ou un Darroze. Ces eaux-de-vie gasconnes créent des accords territoriaux d’une grande harmonie, Béarn et Gascogne se répondant à merveille.
Pour le cognac, un Hennessy XO ou un Martell Cordon Bleu subliment les cigares Hedon. Ces spiritueux charentais révèlent toute la richesse des assemblages français.
Les whiskies français trouvent naturellement leur place : un Armorik breton ou un Michel Couvreur bourguignon créent des accords 100% hexagonaux avec les créations de Navarrenx.
Les accords viniques : quand les terroirs se rencontrent
Les jurançons (vins du terroir béarnais) trouvent naturellement leur écho avec les cigares Hedon. Un Jurançon sec révèle la finesse des assemblages, tandis qu’un Jurançon moelleux accompagne magnifiquement les formats plus corsés.
Les grands bordeaux accompagnent magnifiquement les cigares Hedon. Un Saint-Julien ou un Pauillac créent des accords d’une rare élégance avec les créations de Navarrenx.
L’héritage Navarre/Hedon : plus qu’une marque, une philosophie
L’école béarnaise du cigare
Navarre/Hedon a créé une véritable école béarnaise du cigare, avec ses codes, ses valeurs, sa philosophie. Cette approche se distingue par :
- L’authenticité plutôt que l’imitation
- La subtilité plutôt que la puissance brute
- L’innovation plutôt que la tradition figée
- L’élégance française plutôt que l’exotisme de façade
Cette école béarnaise influence aujourd’hui toute une génération de fabricants de cigares dans le monde.
L’influence sur l’industrie française
Le succès d’Hedon a ouvert la voie à d’autres marques françaises. Cette émulation a créé une véritable industrie française du cigare premium, reconnue et respectée dans le monde entier.
La formation d’une expertise
Navarre/Hedon a aussi contribué à former une expertise française dans tous les métiers du cigare : assemblage, roulage, distribution, dégustation…
Cette expertise, née dans le petit Béarn, rayonne aujourd’hui bien au-delà de l’Hexagone et fait de la France un acteur respecté de l’industrie mondiale du cigare.
Les défis contemporains : Hedon face à la mondialisation
La concurrence internationale
Aujourd’hui, Hedon fait face à une concurrence internationale impitoyable. Les marques se multiplient, les innovations s’accélèrent, les consommateurs deviennent toujours plus exigeants.
Pour rester dans la course, Hedon mise sur ses atouts traditionnels : qualité irréprochable née à Navarrenx, innovation constante, service client d’exception.
L’évolution des goûts
Les goûts des amateurs évoluent rapidement. Nouvelles provenances de tabac, formats inédits, assemblages audacieux… Hedon doit sans cesse s’adapter depuis son fief béarnais.
La marque française y parvient grâce à sa taille humaine qui lui permet une réactivité que n’ont pas les géants industriels.
L’avenir d’Hedon : entre tradition béarnaise et modernité
Les nouveaux marchés
Hedon explore de nouveaux marchés, notamment en Asie où la demande de cigares premium explose. La marque béarnaise séduit par son positionnement unique : l’authenticité française loin des clichés parisiens.
L’exotisme du “cigare béarnais” joue en faveur d’Hedon sur ces nouveaux marchés où la différenciation est cruciale.
L’innovation produit
Hedon continue d’innover depuis Navarrenx : nouveaux assemblages, techniques de fermentation originales, formats révolutionnaires…
Cette innovation constante maintient la marque béarnaise à la pointe de l’industrie mondiale.
Les leçons de l’épopée Navarre/Hedon
L’audace paye
La première leçon de l’histoire Navarre/Hedon, c’est que l’audace paye. Quand les fondateurs décident de créer des cigares français à Navarrenx, tout le monde les prend pour fous. Aujourd’hui, leurs cigares rivalisent avec les plus grands.
Cette audace béarnaise, c’est ce qui distingue les vrais entrepreneurs des simples suiveurs.
La qualité ne se négocie pas
L’équipe de Navarrenx a compris que dans l’univers du cigare premium, la qualité ne se négocie pas. Mieux vaut détruire des cigares imparfaits que de compromettre sa réputation.
Cette intransigeance sur la qualité reste le secret du succès d’Hedon.
L’identité fait la différence
Enfin, Hedon prouve que l’identité fait la différence. Plutôt que de copier les Cubains, la marque béarnaise a assumé sa différence, créé son style, développé sa personnalité.
Cette authenticité pyrénéenne séduit les amateurs en quête d’originalité.
Quand l’impossible devient évidence
En 2001, quand les fondateurs annoncent qu’ils vont créer des cigares français à Navarrenx, l’idée fait sourire. Vingt-quatre ans plus tard, Hedon est une référence mondiale, et personne ne trouve plus bizarre l’idée d’un cigare “made in Béarn”.
Cette transformation, c’est le fruit d’une obstination béarnaise, d’une exigence de qualité, d’une innovation permanente. Les pionniers de Navarrenx ont prouvé qu’avec de la passion et du travail, on peut révolutionner n’importe quelle industrie, même depuis une petite ville des Pyrénées-Atlantiques.
L’histoire Navarre/Hedon nous enseigne que l’excellence n’a pas de frontières, que l’innovation peut venir de partout, que les préjugés sont faits pour être brisés. Elle nous montre qu’un petit fabricant béarnais peut rivaliser avec les géants mondiaux à condition d’avoir une vision claire et la volonté de s’y tenir.
Aujourd’hui, quand vous allumez un cigare Hedon, vous ne fumez pas juste un produit français : vous fumez l’héritage d’hommes et de femmes qui ont refusé de se résigner aux préjugés. Vous fumez la preuve qu’avec de l’audace et de l’obstination béarnaise, on peut transformer l’impossible en évidence.
Sources :
1. Cigars-connect – L’Amateur de Cigare Publication française de référence spécialisée dans l’industrie du cigare, dirigée par Laurent Mimouni. Cette revue a publié l’article le plus détaillé sur la véritable histoire de la marque, notamment la transformation Navarre → Hedon en juin 2016 et les différentes phases de propriété de l’entreprise. Source : Cigars-connect.com – “Hedon Cigares : une nouvelle ère pour les cigares français”
2. Archives officielles INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) Base de données gouvernementale française des marques déposées, permettant de vérifier officiellement les dates d’enregistrement des marques Navarre et Hedon, ainsi que l’identité des déposants réels. Constitue la source juridique de référence pour l’authenticité des marques commerciales. Source : Base de données INPI – Marques déposées secteur tabac
3. Les Échos – Archives économiques Journal économique français de référence ayant couvert les différentes phases de développement de l’entreprise, notamment les reprises successives et les changements de propriétaires. Fournit la perspective économique et industrielle nécessaire à la compréhension du contexte commercial. Source : Les Échos – “Les cigares français de Navarrenx changent de mains” (2005, 2010, 2016)
À suivre dans le prochain épisode…
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Rendez-vous dans 15 jours pour le troisième épisode : “Montecristo : la légende cubaine qui a défié le temps”
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